ENTRETIEN – Olivier Gbezera, poète belgo-centrafricain

Entretien 5 – Poète belgo-centrafricain installé à Paris, Olivier Gbezera est né en Belgique et a vécu entre la Centrafrique, la France, la Belgique et l’Italie. On peut retrouver quelques-uns de ses poèmes sur le site The Afropean.

Propos recueillis par Marie-Julie Chalu avec des photos et un teaser réalisés par Gr Max au bar Les Parigots. Musique du teaser: L’art de la fugue de Baloji

(Paris, janvier 2020)

 

Peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Olivier Gbezera. J’ai 39 ans maintenant. Belgo-centrafricain. Poète en devenir, on va dire. J’ai de petites publications de gauche à droite mais je n’ai pas encore de publications propres. J’ai encore un peu de mal à me définir comme poète parce que ça reste une chose que je fais comme une passion. Je n’ai pas encore passé le cap professionnel entre guillemets. Mais c’est quelque chose qui me fait vibrer, qui me maintient en équilibre. C’est vraiment un refuge, une chose que j’ai trouvé pour m’exprimer. Ça fait 7 ans que j’habite à Paris. À la base, j’étais venu pour un an.

Pourquoi tu es venu à Paris ?

J’étais venu pour un volontariat à la francophonie qui durait un an. Ils m’ont ensuite proposé un boulot. De fil en aiguille, je suis resté là-bas 5 ans. Ce projet de volontariat avait pour but de faire venir des francophones du monde entier. Moi j’ai fait Bruxelles-Paris, ce n’était pas un voyage de fou. Mais il y avait des Sénégalais qui sont partis à Montréal, des Cambodgiens au Cameroun… J’assistais sur un programme de promotion du français auprès des diplomates dans les organisations internationales africaines. J’étais dans l’administratif. C’était assez intéressant. Le projet d’après était de faire venir des jeunes francophones du monde entier pour présenter des projets sur différents aspects de la vie : économie, culture… en Belgique. Ça s’est bien passé. Mais vu que l’OIF (Organisation internationale de la francophonie) est une institution très administrative, hiérarchisée, politisée et que le projet était un peu du bric à brac administratif, ça n’a plus fonctionné. Très concrètement, je n’avais plus rien pour faire le suivi des personnes venues présenter leurs projets. Pendant un an et demi, je ne savais pas ce que je faisais de mes journées. C’était relou. Heureusement, les personnes que j’ai eu à côtoyer étaient cools.
Et puis c’est particulier, on connait la francophonie et toutes les critiques qui sont justifiées. En effet c’est une organisation politique, une organisation d’État, ils ne s’en cachent pas. Forcément, il y a des placements, il y a des choix qui sont faits selon un agenda. Après il y a des projets intéressants qui marchent bien, qui valent la peine au niveau culturel mais le côté administratif est très lourd.

Kaoutar Harchi dit de la francophonie que c’est une « représentation racialisée de l’écriture littéraire », c’est une catégorie qui maintient un ordre des représentations, ostracisant les représentations contre-hégémoniques. Il y a notamment des différences établies entre les francophonies du Nord et les francophonies du Sud. Qu’en penses-tu notamment en tant que poète ?

Je n’ai pas eu encore à répondre à ces questions-là. « Francophone » ça dépend comment tu l’approches. On peut l’approcher d’une manière politique mais aussi pratique : si tu parles une langue, tu es cette « langue-phone ». Il n’y a pas de question politique derrière. Un français est francophone. Moi ça ne me dérange pas puisqu’en plus de ça, je suis belge. En Belgique, de fait, on est classifié entre francophones et néerlandophones. On dit du premier ministre belge blanc qu’il est francophone. Je comprends tout à fait tout ce questionnement mais je trouve plus intéressant ce que les autres ont à en dire que moi-même parce que ça ne me dérange pas du tout de me définir comme un poète francophone parce que c’est un état de fait. Mais je suis tout à fait d’accord qu’il y a des différences de traitement entre les francophonies du Nord et celles du Sud.

Peux-tu revenir sur ton parcours ?

Je suis né en Belgique dans la partie flamande. Ma mère était flamande. On a vécu aux États-Unis, à côté de New York, pendant 5 ans. Ensuite, on est parti/rentré en Centrafrique, pays d’où mon père vient, j’ai vécu là de mes 8 ans à mes 15 ans et demi. Mutineries, coup d’État, j’ai dû quitter le pays et je suis arrivé en France. En Centrafrique, j’étais au lycée français, détail très important. En France, j’ai fait 6 mois dans une toute petite ville dans le Lot, 3 ans à Amiens, 2 ans à Lille et enfin à mes 22 ans, je suis parti vivre en Belgique (pour voir mon pays en quelque sorte). On y allait chaque été pour les vacances mais je n’y avais jamais vraiment vécu. J’ai fait deux ans et demi à Bruxelles. Puis je suis parti un an et demi en Italie dans une ville côtière pas très connue. Je suis revenu en Belgique pendant 5, 6 ans. Puis Paris avec l’opportunité au sein de l’OIF.

Tu vis maintenant à Paris, quelles différences tu établirais entre la France et la Belgique sur leur rapport à leur passé colonial et esclavagiste ?

C’est vaste comme question (rires). Déjà la Belgique est un pays fédéral avec deux communautés très différentes : les flamands et les francophones. On ne peut pas avoir un discours sur l’identité nationale, sur une « République une et indivisible » en Belgique. Parce que de fait c’est un pays divisé et ce n’est pas une république. Ce point joue beaucoup sur la manière dont les choses sont traitées comme le communautarisme.

Je crois qu’il y a encore plus de déni en Belgique qu’ici. Notamment parce que le Congo était la propriété privée du roi belge. Forcément les gens disent : « ce n’était pas nous, c’était le roi ! ».

Il y a une distanciation qui se fait de ce côté-là. La Belgique a eu le Congo, le Burundi, le Rwanda mais contrairement à la France, j’ai l’impression qu’il y a moins de populations des ex-colonies qui sont montées en Belgique. Jusqu’à aujourd’hui, quand tu regardes les populations immigrées, les premières ne viennent pas des pays ex-colonisés mais de Turquie, du Maroc qui n’ont aucun lien colonial avec la Belgique. Donc ça joue sur l’émergence d’une certaine conscience collective qui a été beaucoup plus rapide en France qu’en Belgique. Et puis, on n’aura pas l’équivalent d’un premier ministre qui déclarerait à Kinshasa que l’homme africain n’est pas assez rentré dans l’Histoire. Parce que la Belgique n’est pas du tout une puissance comme la France.
Mais sinon le racisme est bien présent. Surtout en Flandres où il est organisé politiquement : les deux partis séparatistes populistes de droite, plus ou moins xénophobes, ensemble arrivent à 40% des votes. En Belgique francophone, ce n’est pas arrivé à ce niveau-là parce que c’est moins bien organisé mais il y a quand même un sentiment d’extrême droite, il ne faut pas croire.
Comme il y a eu du déni depuis longtemps, ça se réveille du côté des communautés racisées, en face les Belgo-belges, on va dire, se demandent pourquoi on parle de racisme. Ils tombent un peu des nues. Dès le départ, il y avait des étudiants congolais qui en parlaient mais ça restait un peu restreint.

Il y a des collectifs, organisations antiracistes politiques, décoloniaux en Belgique ?

Oui il y a de plus en plus de collectifs, de lieux artistiques ou politiques qui se montent. C’est en train de bouger. Mine de rien, j’ai l’impression que la France est un des pays le plus en avance, du moins du côté des communautés.

À l’échelle européenne ?

Oui, en Europe. La critique que je fais toujours c’est que les Français ne regardent qu’à l’Ouest : Grande-Bretagne, États-Unis, c’est tout. Comme ils ne regardent que là-bas, ils se disent qu’ils sont grave en retard. Mais à 1h30, il y a Bruxelles où on me demande encore si je parle belge.

Belgique, Allemagne, Espagne, Portugal, Italie sont des pays juste à côté qui ont des histoires beaucoup plus similaires à la France que les États-Unis, c’est pour ça que la question afropéenne m’intéresse énormément. Les États-Unis ont une présence noire depuis 4 siècles qui a pu s’organiser, se construire en communauté malgré les horreurs. En Europe, ce n’est pas le cas. C’est devenu significatif depuis 3, 4 générations, 5 pour être gentil. Les dynamiques sont différentes.

Je trouve alors intéressant de voir ce qui se passe juste à côté parce qu’il y a des liens qui peuvent être faits. Je ne dis pas qu’il faut oublier les États-Unis mais il y a des choses qu’on peut faire sur le continent. En Europe continentale, selon les pays que j’ai un peu vu, c’est en France qu’il y a quand même des choses qui se passent notamment sur les questions décoloniales. Va organiser un Camp d’été décolonial en Italie (rires). Ou en Espagne. Déjà que c’était très dur ici. Vas-y pour avoir une revue comme Negus, un magasin comme NoFi Store. Il y a de la marge. T’as des médias online, de la réflexion, des bouquins, des pièces de théâtre, des films. Les Misérables. Va trouver un film comme ça en Europe continentale. Quand tu mets tout ça ensemble, sans dire que c’est le paradis (rires), il y a de la structure, des gens qui s’organisent. L’avantage en Belgique comme on n’est pas loin et qu’on partage la langue, on regarde ce qui se passe, on importe, ça a rapidement un écho. Ça commence à venir ces dernières années mais il y a encore un bon bout de chemin à faire. Autant en France il y a ces discussions depuis quelques décennies maintenant, autant en Belgique, ça prend du temps. Il y a déjà la question interne flamand/francophone qui occupe énormément d’espace que ça occulte tout le reste. Et puis il y a cette construction très forte du « gentil Belge », surtout pour les Belges francophones. Pour eux, d’un côté, il y a les Français arrogants, de l’autre, les Flamands nationalistes, et ils ne sont ni l’un ni l’autre : ils sont les gentils. Tu sens qu’ils y croient. Ils sont dans ce délire-là, en plus ils ne se renseignent pas du tout sur l’histoire coloniale qui n’est pas enseignée en plus. Il y a des statues de Léopold II partout. Ils ont essayé de faire cette soi-disant décolonisation du musée Tervuren mais il y a de ça, quelques semaines, ils ont fait une « African Garden party » avec des gens en blackface au sein de ce musée national soi-disant décolonisé…

Comment découvres-tu le mot « afropéen.ne » ? Quels effets a-t-il eu sur toi ?

C’est en voyant le blog The Afropean de Johny Pitts. Je sais que le mot existait depuis le groupe Zap Mama mais ce n’est pas à ce moment-là que je l’ai vu, je crois. Il m’a parlé de fait parce que je suis belge et centrafricain. Je l’ai trouvé intéressant. Je sais qu’il y a beaucoup de réticences par rapport à ce terme. Il y en a qui disent que c’est une manière de se distinguer des Africains, de s’éloigner du continent. Il est vu aussi comme élitiste parce que ça vient du milieu des bloggeurs, des artistes. Et en plus au même moment quand je l’ai découvert, il y avait « afropolitain ». Là par contre, j’ai dit « non, no way » (rires). J’ai mis le veto direct. D’ailleurs c’est mort en même temps, ça n’a pas duré ce truc. Mais « afropéen » ça me parle, j’entends les critiques, mais je l’ai plutôt vu dans l’autre sens. Je suis de l’avis qu’on est quand même forgé par l’endroit où l’on vit. À plus fortes raisons si t’es né en Europe, si t’as grandi toute ta vie en Europe, si tu parles que des langues européennes, à un moment t’es européen (rires). Il faut accepter nous-mêmes qu’il y a différentes façons d’être européen. Quand on dit européen, les gens voient Jean-François, Ricardo. Rien qu’en Europe, il y a déjà des différences : un Portugais n’est pas un Serbe, n’est pas un Estonien. Je revendique alors d’y rajouter ma propre différence. Quand je dis « je suis européen », ça ne me cause aucun problème parce que je suis né en Belgique, j’ai la nationalité belge, ma mère était belge, j’ai passé la majeure partie de ma vie en Europe, j’ai étudié que dans des systèmes éducatifs européens. Mais ça ne nie pas que je suis aussi africain, j’ai grandi en Centrafrique, mon père est centrafricain, je suis centrafricain, je le revendique aussi. L’un n’exclut pas l’autre.

Pour moi, le terme « afropéen » dit « je suis européen, je suis ici chez moi et cette partie africaine en moi est aussi légitime que l’autre partie, ici ». Je l’aime bien parce qu’il dit ce que je suis. Après ce n’est pas un terme que j’utilise tous les jours pour ne pas entrer dans des polémiques (rires). Mais en tout cas j’aime bien le concept. Et puis, peut-être, ça peut parler aux différentes communautés afrodescendantes en Europe au-delà des frontières. Ç’est ça qui m’intéresse. Ça permet de penser les ponts possibles. Il m’intéresse dans ce à quoi il pourrait peut-être amener.
Afropea contient une utopie collective ?

Oui. Il y a déjà le fait de s’approprier ce qui est déjà là. On est déjà afro et européen. Et il y a une possibilité de se projeter dans quelque chose. Quelles sont les alternatives ? Il y en a qui veulent rentrer, aller dans leurs pays d’origine. C’est fort. Mais ce n’est pas forcément le cas de tout le monde. Quand tu veux rester sur place : t’as grandi ici, t’es chez toi. Pour moi, dans ce terme, il y a l’idée de pouvoir créer un concept qui réussit à mettre ensemble ces deux aspects de la vie. Cette africanité qui est à l’extérieur, en l’occurrence, en Europe.
Comme j’ai vécu à Bruxelles, j’ai pas mal réfléchi sur l’Union européenne. Soit la situation va continuer à dégringoler du côté des nationalismes, ce qui est tout à fait possible, ou une autre direction que j’estime intéressante, celle du fédéralisme au niveau européen. Sur certains aspects, on n’en est pas loin. Face à cette situation, je me dis qu’il serait bien que les personnes afrodescendantes s’organisent politiquement. C’est déjà compliqué de s’organiser au niveau national, j’en suis tout à fait conscient (rires) mais je pense qu’à un moment il faudra s’organiser à ce niveau-là aussi. Il y a beaucoup de choses qui se décident au niveau de l’Union européenne qui ont des impacts sur nous et sur les pays dont on peut être originaires. Concernant les migrants par exemple, Frontex, c’est l’Union européenne. Il y a donc de très gros enjeux qui se jouent à ce niveau-là. Et j’ai l’impression que cet étage continental n’est jamais considéré ou très peu. À un moment, il devra être investi, ça va prendre du temps parce qu’il faut travailler au niveau local évidemment. Pour ça, il faudra alors des alliances au niveau européen. Je dis ça non seulement parce que je crois que c’est une direction vers laquelle il faut essayer d’aller mais surtout parce que l’extrême droite le fait. Ils se disent nationalistes mais ils sont hyper organisés au niveau européen. Les fachos français vont manifester en Italie, en Belgique, en Pologne. Je me dis qu’il va falloir contrebalancer ça. Et cette idée d’afropéen dans le sens d’organisation d’afrodescendants au niveau européen est intéressante pour pouvoir essayer de faire nombre, bloc, et jouer des coudes à ce niveau-là.

Tu te définis aussi comme métis. Quel est ton rapport aux mots « métis » et « métissage » ?

Je sais que l’origine du mot « métis » a une certaine histoire, je n’ai pas tout en tête, mais à défaut d’un autre mot, je me définis comme métis parce que c’est ce que je suis. Pour moi, dans le métissage, il y a une différence de couleur qui rentre en jeu. Tu vas être métis Italo-Algérien par exemple. Mais les Italo-Belges, eux-mêmes, ne se définissent pas comme métis, ils sont blancs. Le métissage c’est alors une rencontre de deux couleurs, deux mondes, deux origines différent.es qui dépasse une simple différence de langues. Souvent quand on dit « métis », on pense à blanc/noir, il y en a d’autres bien sûr. Dans ce cas-là, en tant que métis, généralement tu vas être catégorisé comme « noir ». Tu es perçu comme noir socialement. En ayant vécu en Centrafrique, j’ai bien compris que j’étais noir mais pas tout à fait (rires). Je l’ai vécu dans les deux sens, ici je suis perçu comme noir, et là-bas, j’étais perçu comme blanc, ce qui est beaucoup moins grave évidemment. Ça va être des petites blagues ou au contraire on va te traiter de manière plutôt positive.
Ce qui est important c’est la conscience de ces différences. Où que je sois, je suis dans la minorité. Je crois qu’il y a de ça dans l’expérience métisse, quoi qu’il arrive, t’es une minorité. Dans des conférences afrodescendantes majoritairement noires, je me sens à ma place mais je suis une minorité dans la minorité. La même chose du côté blanc. Je me définis comme métis parce que j’ai vécu ces deux différences-là, d’une certaine manière ça m’a forgé. J’ai beau être vu comme noir, j’ai un héritage blanc que je n’ai aucune envie d’occulter, de nier, je n’en vois pas la raison.

Je réfléchis à la notion de communauté parce que quand t’es métis, il y a souvent la suspicion « il est avec nous ou pas » (rires). Du côté des Blancs, c’est très trompeur parce qu’au premier abord c’est plus simple, comme t’es métis, t’es noir mais pas trop. T’es alors le parfait ami noir. T’es pas trop différent d’eux mais assez pour que ce soit assez funky. C’est trompeur parce que tôt ou tard, il y a une limite. Du côté des Noirs, c’est la suspicion avec des questions un peu détournées, mais n’empêche que socialement, politiquement, c’est clairement plus là que je me sens chez moi avec les gens qui me ressemblent le plus physiquement.

Après j’ai un peu étudié le truc, il y a des raisons historiques à tout ça. Les colons portugais à Sao Tomé ont consciemment fait une population métisse pour avoir des gens entre eux et les Noir.es. La question du métissage dans les îles a souvent été une position d’entre-deux, de protection des Blancs face aux Noirs. Et puis, dans plein de pays, il y a la question du colorisme qui rentre en jeu. Dans les pays africains, quand tu es métis et que t’as un parent blanc, financièrement t’es plus aisé que les autres, il y a alors cette couche qui s’ajoute. Je comprends toutes ces questions historiques, économiques, sociales qui amènent cette suspicion. En tant que métis, il faut être conscient de tout ça. Quelle que soit ta position dans la société, il faut un minimum savoir ce qui s’est passé avant pour comprendre pourquoi les gens se positionnent comme tel par rapport à toi. J’essaye de faire cet effort-là. Il y a des fois où c’était plus difficile que d’autres. Mais j’essaye de trouver un équilibre qui me convient dans les différentes parties qui me composent.

Afropéen.ne fait référence à des personnes noires et aussi métisses afrodescendantes nées en Europe.

Oui, tout à fait. C’est un terme beaucoup plus englobant. Le terme « afrodescendant » me parle à fond mais la seule critique minime que je ferais c’est qu’il ne dit pas où tu es. Tu peux être afrodescendant au Brésil, en Chine, au Canada. Je pense quand même que ce qui nous forme politiquement, socialement, culturellement, est lié au lieu.

D’un côté, le terme d’afrodescendant est bien parce qu’il relie tous les afrodescendants mais, le revers de la médaille, c’est qu’il ne localise pas assez. Pour moi, afropéen, c’est bien parce que c’est une précision dans l’afrodescendance.
Ça intègre la composante subsaharienne dans l’espace européen.

Exactement. Tout à l’heure, je disais qu’on regardait beaucoup les États-Unis et je me mets dedans, mais il y en a plein qui crachent sur les Africains en disant « ils nous ont vendu » etc. Je me dis c’est bien de regarder là-bas mais on ne va peut-être pas être accueillis les bras ouverts. Encore une fois, l’histoire est hyper différente, là-bas ils ont une seule langue, un seul pays, ils ont une communauté d’expérience, pour ceux en tout cas qui sont descendants d’esclaves. Les expériences des afrodescendants en Europe sont hyper différentes, variées, déjà entre ceux qui sont nés ici et là-bas, ceux qui viennent d’un pays francophone, anglophone ou même lusophone. On ne connait pas tout ça ici. Par contre, on connait l’Alabama, Watts (rires).

Oui, toutes les communautés afrodescendantes regardent vers les États-Unis.

C’est normal parce que c’est la plus organisée et la plus puissante.

Dû à l’impérialisme états-unien.

Exactement. Le soft power ricain. Il y a une créativité de malade mais aussi les moyens d’exporter cette créativité. C’est pour ça qu’on regarde tous là-bas, moi le premier, les sons que j’écoute c’est 98% du ricain, les films, pareil. Mais je pense qu’il y a un effort – je dis bien un effort parce que ce n’est pas naturel – à faire pour regarder ce qui se passe près de nous.

Serait-il utile de parler de créativités, littératures afropéennes ? Est-ce que ça te semble nécessaire ?

Je n’aime pas dire aux gens comment ils doivent se définir. S’ils le veulent, c’est cool. Johny Pitts a nommé son bouquin Afropean, c’est cool. Pour moi, il serait intéressant qu’il soit plus utilisé pour créer des ponts. Au sein de l’Union européenne, on traverse déjà les frontières par les voyages. On regarde aussi ce qui se passe dans les autres pays. Et je le dis encore, en France les gens ne s’en rendent vraiment pas compte mais on regarde ce qui se passe en France, on est influencé par ça. Il y a déjà de fait une espèce de communauté au-delà des frontières.

Comme je te disais les Belges regardent ce qui se passe en France, j’ai été sur des blogs d’Afro-Italiens, ils vont citer des choses qui se passent ici. C’est comme d’ici on regarde les États-Unis, les gens d’autres pays européens regardent ce qui se passe en France. Tu regardes celui qui est le plus avancé entre guillemets mais jamais dans l’autre sens, tu ne regardes pas celui que tu considères moins avancé.

Peut-être mettre un mot sur ça apporterait à une prise de conscience. Ma peur en mettant le mot, c’est que les gens se concentrent plus dessus, sur la polémique et ça créerait plus de problèmes qu’autre chose. Dans ma poésie, par exemple, il ne me semble pas que j’utilise le mot afropéen, ce qui est totalement contradictoire avec tout ce que je raconte mais parce que je sais que les gens vont s’arrêter sur le mot pour dire que je veux me distinguer de l’Afrique, en plus je suis métis. C’est un débat qui ne m’intéresse pas en fait.

Comment définirais-tu ta poésie ?

C’est compliqué mais je dirais qu’il y a la question de l’entre-deux, de l’imprécision, de flottant, pas totalement défini, en mouvement. De fait, c’est ça mon expérience. Je suis en minorité partout. J’ai pas mal bougé en plus. Au niveau linguistique, mon père ne m’a pas transmis sa langue, le sango et ma mère ne me parlait pas non plus la sienne, le néerlandais. Tout le temps, en dedans et en dehors. C’est un truc un peu instable contre lequel je lutte parfois et en même temps m’alimente parce que je n’aurais pas écrit de la poésie sinon. Il y a un côté éphémère, court, lié à ma vie, qui me parle beaucoup dans la poésie. J’ai des difficultés à projeter sur du long terme. Le roman t’impose de raconter une histoire, il demande une linéarité en général (même s’il y a des romans qui inventent autre chose). Dans ma vie, j’ai du mal avec ça. Ça me parle quand je lis, je lis plus de romans que de poésie. Mais pour le faire, je n’y arrive pas.

La poésie c’est l’instantané, ça me parle beaucoup plus parce que ça reflète mon histoire. Des mouvements par coups, peu de continuités linguistiques, culturels.
Des poètes, poétesses qui t’inspirent ?

Je commence à en lire mais ce sont les romans et les essais qui m’alimentent beaucoup plus. En fait, je suis le poète qui ne lit pas ses collègues (rires). Pour l’écriture, ce sont les rappeurs qui m’ont inspiré. Je suis venu à la poésie via le hip hop. J’ai grandi en écoutant Nas, le Wu Tang, 2Pac, Oxmo, Akhenaton, la Rumeur, La Brigade, Lunatic. C’est en écoutant du hip hop à longueur de journée, que j’ai commencé à écrire pas du tout en lisant des poètes.

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