ENTRETIEN – Pamela Ohene-Nyako, une expérience afro-suisse

Entretien 6 – Pour le 6ème entretien d’afropea, je reçois Pamela Ohene-Nyako fondatrice de la plateforme Afrolitt’ que tu vas nous présenter lors de l’interview. Tu es basée à Genève en Suisse. Tu es également en thèse de doctorat sur les circulations transnationales et les mobilisations des femmes noires d’Europe (France, Belgique, Pays Bas, Royaume Uni) entre 1970 et 1990.

Pour notre sixième entretien, on s’adapte à la situation actuelle tout en s’affranchissant des frontières en rencontrant par vidéo-conférence Pamela Ohene-Nyako, chercheuse et fondatrice de la plateforme Afrolitt’ basée près de Genève en Suisse.
On commence par se dire comment elle se sent et comment elle s’est adaptée pour mener à bien son projet Afrolitt’ avec lequel elle organise notamment des rencontres autour des littératures noires. En nous racontant la genèse du projet, elle nous explique comme la littérature noire a été un allié dans sa reconstruction après sa dépression causée par la pression d’une société patriarcale et raciste. Elle aborde la littérature noire comme une source thérapeutique et un outil à l’éveil politique, l’un ne va pas sans l’autre, nous dit-elle. Elle a aussi développé avec cette plateforme les Afrolitt’ Webseries et les Afrolitt’ Cooks (projet qu’elle a initié lors du confinement). Nous avons discuté de l’éventuelle existence d’une littérature afro-suisse qui en est à ses débuts avec des publications de témoignages par exemple et de la pertinence du terme « afro-suisse ». Nous avons échangé également sur le terme « afropéen.ne », et qu’au-delà du mot c’est le récit qu’on en fait qui est important. Assistante doctorante à l’université de Genève, Pamela prépare une thèse sur les circulations transnationales et les mobilisations des femmes noires d’Europe entre 1970 et 1990. Durant cette période, des groupes de femmes noires ou racisées développent déjà une approche intersectionnelle (race/genre/classe) pour penser leur émancipation politique. Elle a également milité auprès du collectif Afro-Swiss et nous parle de différents groupes afroféministes existants en Suisse. Sont abordés aussi durant l’entretien l’héritage colonial suisse et les particularités de l’expérience noire en Suisse. La Suisse clame une innocence face au legs colonial et se défend de l’existence d’un racisme structurel par rapport à la France ou à l’Angleterre, se rapprochant des Pays Bas sur ce point. Pour finir, nous avons parlé d’utopie(s).

Références citées (par ordre alphabétique) :

Afro-ÉmancipéEs, évènement organisé par Anna Tjé (artiste et co-fondatrice de la revue Atayé) et Pamela Ohene-Nyako qui explore les liens entre afrofuturisme, utopie et émancipation afroféministe.
https://www.theatredelusine.ch/afro-emancipees-afrofuturisme-emancipation/

Depuis 2007, la Black Europe Summer School est un programme intensif de deux semaines à Amsterdam (Pays Bas) qui étudie les dynamiques contemporaines de la diaspora africaine en Europe.
https://www.blackeurope.org

Bla.Sh, collectif de femmes noires en Suisse allemande.
https://www.facebook.com/NetzwerkBlackShe/

Fondé en 2009, le Collectif Afro-Swiss milite contre le racisme anti-noir dans une perspective intersectionnelle.
https://collectifafroswiss.wordpress.com

Collectif Amani, collectif afroféministe basé à Nyon (Suisse).
https://www.instagram.com/collectifamani/?hl=fr

Conférence de Durban (2001) est une conférence contre le racisme, la xénophobie et l’intolérance organisée par l’UNESCO.

Coordination des femmes noires (1976-1980) regroupait majoritairement des femmes noires africaines et caribéennes étudiantes, exilées ou intellectuelles. Elles ont organisé en 1977 leur premier événement public à Paris « La Journée des femmes noires ». Elles liaient les luttes de libération des femmes à la lutte des classes et aux luttes anti-impérialistes, pour elles, les luttes féministes n’étaient pas à mettre en second plan comme le préconisaient des organisations de gauche.

Gloria Wekker est une anthropologue et professeure d’université afro-surinamaise, néerlandaise. Avec son livre “Witte onschuld: Paradoxen van kolonialisme en ras” (Innocence blanche: Paradoxe colonial et racial) sorti en 2016, elle soulève le paradoxe néerlandais qui oscille entre un profond déni des discriminations raciales et de la violence coloniale et l’expression agressive du racisme et de la xénophobie. Elle démontre comme ce déni et l’innocence face à ces questions politiques préservent le privilège blanc. Elle remet ainsi en cause l’image des Pays Bas vu comme tolérant et accueillant en dévoilant son héritage postcolonial dans la construction de l’identité blanche néerlandaise et la persistance du racisme dans le pays.

Grève des femmes du 14 juin 2019 est une grève nationale qui a eu lieu en Suisse.

I Will Be Different Every Time est un ouvrage collectif de Fork Burke, Myriam Diarra et Franziska Schutzbach qui « relate une page de l’histoire Noire en Suisse. Il met en lumière des femmes d’origines et de générations diverses, avec leurs propres parcours, points de vue et projets. »
(source : http://diebrotsuppe.ch/publikationen/alle-titel/i-will-be-different-every-time)

Jovita dos Santos Pinto est chercheuse et universitaire. Elle a fait des recherches sur Tilo Frey, femme politique noire suisse et mène une thèse sur la place des femmes noires dans l’espace public en Suisse.

Kwame Nimako est un professeur d’universitaire basé à Amsterdam. Il est notamment co-auteur du livre The Dutch Atlantic.

Léonora Miano est essayiste et romancière. Son dernier ouvrage paru : Afropea : Utopie post-occidentale et post-raciste.

Max Lobe est un écrivain d’origine camerounaise vivant en Suisse.

MODEFEN (Mouvement pour la défense des droits de la femme noire, 1981-1994), créé en 1981 par Lydie Dooh Bunya, le groupe avait pour objectif de lutter contre le racisme et le sexisme pour l’émancipation des femmes noires.

Philomena Essed est chercheuse et professeure dans le champ des critical race and gender studies. Elle a introduit aux Pays Bas des termes comme « racisme ordinaire » ou « racisme genré ».

Le groupe PostCit – « Penser la différence raciale et postcoloniale » « propose des réflexions transdisciplinaires autour des problématiques liées à l’altérité, la « race » et la postcolonialité, en privilégiant les perspectives des postcolonial studies, des critical race and whiteness studies, des subaltern studies, et des ethnic and racial studies. Ce groupe a été co-fondé en 2008 par Manuela Honegger et Noémi Michel. Il est le fruit d’un désir de se familiariser, par la discussion collective, avec ces perspectives critiques. »
(source : https://www.unige.ch/sciences-societe/incite/index.php?cID=177)

Sister Outsider, cercle littéraire de femmes noires lesbiennes créé à Amsterdam par Gloria Wekker en hommage à Audre Lorde.

Womanist (Womanism), terme créé par l’écrivaine Alice Walker, qui selon ses propres mots désigne : « Une femme qui aime d’autres femmes sexuellement et/ou non sexuellement. Qui apprécie et aime la culture des femmes, l’émotion des femmes. » Au sein du womanism, l’approche intersectionnelle race/genre/classe est intrinsèque contrairement au féminisme (blanc), c’est un « courant de pensée politique qui, au sein du féminisme, a défini la domination de genre sans jamais l’isoler des autres rapports de pouvoir, à commencer par le racisme ou le rapport de classe » (Elsa Dorlin).

Propos recueillis par Marie-Julie Chalu via Zoom.

(Villejuif/Genève, 2020)

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